L’une des conséquences de cette période de claustration (je n’en peux plus de vous entendre miauler confinement sur tous les tons, trouvez des synonymes par pitié) c’est que L’AUTRE passe un temps considérable sur l’internet. Dans quelques temps, quand vous aurez le plaisir (?) de le revoir et que vous échangerez des souvenirs d’anciens combattants il vous racontera peut-être qu’il visionnait les podcasts de France Culture en boucle et qu’il s’est fait une orgie d’opéras grâce aux retransmissions généreusement mises en ligne par le service public. Ouais. Sans chercher à casser son image, je dois vous avouer que la vérité est moins glorieuse. Je l’ai récemment surpris à visionner des matchs de l’AS Saint-Etienne des années 70 (ASSE – Dynamo de Kiev : 3-0) et d’autres vidéos d’intérêt moyen. Pas plus tard qu’hier il est même allé exhumer une vieille émission des « Chiffres et les lettres » sur Youtube, c’est dire où il en est rendu. Et lui qui se vante d’être fort en calcul mental n’a pas été capable de trouver le moindre compte est bon. Un naufrage total. Alors ce matin, quand il m’a proposé de l’accompagner dans une sortie culturelle, j’ai dit OK histoire de l’aider à remonter la pente. C’est comme cela que nous sommes allés visiter une exposition virtuelle, sur Internet : le chat dans l’histoire de l’art.
– Alors, tu as aimé l’exposition, Ulysse ?
– Couci-couça
– Ça m’aurait étonné, aussi. Qu’est ce que tu reproches à cette expo? Moi j’ai trouvé ça pas mal, le problème c’est que j’ai été incapable de suivre l’itinéraire conseillé et que je me suis perdu. Comme dans un vrai musée, en fait.
– J’ai trouvé cela très humano-centré, si tu veux savoir. Je me suis trouvé chosifié, nié dans ma dignité de chat.
– Tiens, voilà autre chose…
– Rien que le titre des tableaux : « Chat prêt à se jeter sur un pivert mort ». Écœurant… Et quand on ne nous peint pas en charognard psychopathe, on nous ravale au rang de peluches obèses vautrées sur des greluches en fanfreluches. R.E.S.P.E.C.T !
– Tu n’exagères pas un peu, Ulysse ?
– Pas un instant. J’ajouterais qu’il n’y a aucune mise en perspective historique. Pas un mot ou presque sur les souffrances endurées par mes ancêtres au Moyen-âge.
– Si on prend ton cas personnel, reconnais que la situation s’est un peu améliorée depuis le Moyen-Âge.
– J’ai une conscience politique, Monsieur, je ne ramène pas tout à ma situation personnelle.
– Ce qui signifie ?
– Ce qui veut dire qu’il vous reste encore quelques siècles à expier, toi, ton tapis et tes rideaux pour qu’on soit quitte définitivement !
Pour faire la paix, L’AUTRE vous propose 10 romans et récits qui parlent de peintres et/ou de peinture.
Ulysse,
Votre coach en confinement
"L’indolente" de Françoise Cloarec
Pierre Bonnard a peint beaucoup de scènes d’intérieur et sur nombre d’entre elles figure une femme : c’est Marthe, son épouse, la femme de sa vie avec laquelle il partage une histoire extraordinaire. Marthe est un mystère ; quand Pierre la rencontre, c’est le coup de foudre. Il aperçoit pour la première fois la toute jeune fille dans l’atelier de modiste où elle travaille. Elle lui dit avoir 16 ans, être orpheline d’une famille noble italienne. Absolument rien de cela n’est vrai. Marthe (qui ne se prénomme même pas Marthe) a 24 ans, ses parents sont de modestes artisans qui habitent à Meaux, ils sont bien vivants et elle a des frères et sœurs. Mythomanie ? Honte des origines ? Maladie mentale ? Les Bonnard construiront leur vie de couple autour de ce mensonge initial. Elle sera sa Muse mais également celle qui tentera toujours de limiter l’influence des amis peintres de son mari, comme si elle désirait garder Pierre dans sa sphère exclusive. Françoise Cloarec rapporte dans son roman l’histoire de cet amour qui durera toute une vie. Que savait Pierre ? Quand a-t-il appris la vérité ? Dans quelle mesure était-il dupe ? Le mystère Marthe Bonnard demeure aujourd’hui encore en très grande partie inexpliqué. Cette histoire extraordinaire ne s’arrêtera pas au décès de Marthe. À la mort de Pierre Bonnard en 1947, mort sans enfant, les quatre nièces bien vivantes de Marthe feront valoir leurs droits sur l’héritage à la faveur d’un imbroglio juridique. Cela donnera lieu à l’un des procès les plus médiatisés de l’après-guerre où s’illustreront Maurice Garçon et d’autres ténors du barreau. L’arrêt de justice fera jurisprudence et est à l’origine du droit de la propriété artistique tel qu’il s’applique encore aujourd’hui. Un récit très romanesque et absolument passionnant. Paru chez Stock, disponible en J'ai Lu.
"Gabriële" d’Anne et Claire Berest
Gabriële Buffet est l’arrière-grand-mère des autrices Anne et Claire Berest. Une arrière-grand-mère dont on ne parle pas dans cette famille bourgeoise ouverte aux arts, car elle en fut en quelque sorte le mouton noir. Extrêmement intelligente, musicienne douée, elle abandonnera ses études musicales, la carrière qui s’offre à elle pour partager la vie de Francis Picabia et l’épouser. Elle sera en quelque sorte « l’intellectuelle » du couple, aiguillant Picabia pour lui permettre de préciser sa démarche et sa création. Ensemble, ils auront quatre enfants dont ils ne s’occuperont jamais vraiment, ce qui aura des circonstances dramatiques et explique sans doute que le souvenir de Gabriële soit proscrit dans la famille. Amie intime de Guillaume Apollinaire, maîtresse de Marcel Duchamp, le parcours et l’influence de Gabriële font d’elle un personnage important, quoique méconnu, de l’histoire de l’art au 20è siècle. Paru chez Stock, disponible en livre de poche.
"La double vie de Vermeer" de Luigi Garnieri
Amsterdam 1945, la police débarque au domicile de Han Van Meegeren, accusé d’avoir vendu des tableaux de Vermeer à Goëring. C’est là que l’histoire (véridique) devient extraordinaire car on va découvrir que Van Meegeren n’a vendu aucun Vermeer. Mieux, il en a peint. C’est un faussaire de génie et les fameux tableaux, qui comptent parmi les chefs-d’œuvre les plus reconnus du maître, sont en fait des créations de Van Meegeren. Il a mystifié toute la profession, les plus grands spécialistes de Vermeer. Et là où le récit devient fascinant, c’est quand on s’intéresse aux raisons pour lesquelles Van Meegeren a commis ces faux. Au départ, ce n’est pas l’appât du gain qui le motive, mais un besoin de vengeance. Peintre lui-même, et oeuvrant dans un style très traditionnel (suivant en cela les directives d’un père peintre lui-même et extrêmement strict), il sera moqué par la critique, ses œuvres considérées comme totalement anachroniques et sans intérêt à cette époque où la créativité explose dans le monde de la peinture. Devenir faussaire sera sa vengeance, un moteur puissant qui nous vaut un récit passionnant de bout en bout avec des digressions très intéressantes sur le rapport de Proust à l’œuvre de Vermeer et un portrait de l’ogre Goëring. Paru chez Actes Sud, disponible en collection de poche Babel.
"Jeune femme au luth" de Katharine Weber
Vermeer toujours, mais ici la peinture est avant tout le prétexte à une intrigue sentimentale et policière de très bonne tenue. Patricia Dolan, quadragénaire, new-yorkaise et historienne de l’art, a mis sa vie entre parenthèses depuis la perte accidentelle de son enfant. Elle va retrouver goût à l’existencer dans les bras de Mickey, un lointain cousin irlandais, qui débarque chez elle un beau matin. Mickey n’est pas un cousin ordinaire : c’est un activiste irlandais qui participe à la lutte armée contre les Anglais; il est venu chercher l’aide de Patricia pour dérober, à la faveur d’une exposition, la “jeune femme au luth”, un tableau de Vermeer prêté par Elisabeth II. Patricia va ainsi se trouver entraînée dans une aventure qui la conduira sur la terre de ses ancêtres. "Jeune femme au luth" est un roman grand public qui se lit d’une traite et avec beaucoup de plaisir. Si chez Guarnieri (voir plus haut) tout est vrai, nous sommes ici dans une fiction : le tableau Jeune fille au luth n’a jamais existé autre part que dans l’imagination de l’autrice. Editions Le sonneur (pas d’édition en poche).
"Le tableau du maître flamand" d’Arturo Perez-Reverte
Un vrai classique, ce roman-là. On le trouve au rayon polar de toutes les librairies de France et de Navarre, et à juste titre. Si vous ne l’avez pas lu, c’est le moment de vous y mettre, l’histoire va vous tenir quelques heures en haleine. L’intrigue en deux mots, que je pique sur le logiciel Electre : « Sur un panneau peint au XVe siècle par Van Huys, maître flamand, un seigneur et un chevalier jouent aux échecs, observés par une femme en noir. Une restauratrice y déchiffre une mystérieuse inscription. Elle découvre que le peintre a réalisé ce tableau deux années après la mort inexpliquée de l'un des deux joueurs ». Une enquête ouverte cinq siècles après le crime, ça c’est un vrai cold case !
"Adieu à l’Italie" de Bruno Racine
Qui connaît encore François Marius Granet, peintre néo-classique élève de David ? En s’intéressant à cette figure un peu oubliée de l’Histoire de l’Art, Bruno Racine offre un roman intimiste et attachant, empreint de mélancolie et dans lequel il développe les thèmes du souvenir et de la transmission. Granet est au soir de sa vie, il doit terminer 2 toiles, l'une évoquant un épisode possible de sa jeunesse, l'autre représentant les obsèques de Nena, sa femme. Quand le peintre peut-il dire qu’une toile est terminée ? Que va-t-il rester de son œuvre ? De très belles pages, et le sentiment d’un certain apaisement, c’est en tout cas ce que j’en retiens quelques années après la lecture. Gallimard, sorti en 2012, jamais sorti en poche.
"Un monde à portée de main" de Maylis de Kerangal
Paula, la vingtaine et pas trop de projets précis, entame des études d’art qui vont l’amener à suivre les cours d’une école bruxelloise spécialisée dans le trompe-l’œil, où le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on n’est pas là pour rigoler. Art, le trompe-l’oeil ? Artisanat ? Les spécificités de cette activité nous sont rapportées en détail par l’autrice qui s’est à l’évidence beaucoup documentée, les indications techniques foisonnent et c’est d’ailleurs la dimension du roman que j’ai préférée. La structure narrative est assez classique, on suit les parcours professionnels (beaucoup) et personnel (un peu) de Paula et de deux de ses condisciples et amis qu’elle finira par retrouver autour d’un projet grandiose et commun : (pré)historique !
Le turquetto de Metin Arditi
Dans le genre roman historique dans sa forme la plus classique, c’est fort bien fait et si vous appréciez ce type de récits, le turquetto a de très fortes chances de bien vous plaire. En tant que lecteur, vous l’avez deviné, ce n’est pas le genre littéraire que je préfère. Voici un résumé de cet ouvrage (que j’ai lu avec plaisir, sinon je ne vous en parlerai pas) piqué sur Electre. « Né à Constantinople en 1519, Elie Soriano a émigré à Venise, troqué son nom pour celui d'Elias Troyanos, fréquenté les ateliers du Titien et fait une carrière exceptionnelle sous le nom de Turquetto : le petit Turc, comme l'a surnommé le Titien. M. Arditi retrace le destin de cet artiste né Juif en terre musulmane, nourri de foi chrétienne et traîné en justice pour hérésie ».
"Maîtres et esclaves" de Paul Greveillac
Né dans une famille de paysan au début des années 1950, le jeune Kewei est repéré par un garde rouge en raison de ses dons pour le dessin. Il part étudier aux Beaux-Arts à Beijing, laissant au village sa femme et son jeune fils. Gravissant les échelons, il va devenir « peintre officiel du régime » et devra par la force des choses servir la propagande. Car dans la Chine de la révolution culturelle, l’art n’a un sens et une justification que s’il permet de glorifier le régime. A la fois roman d’apprentissage, roman historique et familial, "Maîtres et esclaves" est passé un peu inaperçu lors de sa sortie en 2018 chez Gallimard. C’est dommage et la bonne nouvelle, c’est que vous avez une deuxième chance de le découvrir puisqu’il vient tout juste de sortir en folio.
"Guerre et térébenthine" de Stefan Hertmans
C’est l’histoire de son grand-père, Urbain Martien, que nous rapporte l’auteur. Un grand-père né dans les dernières années du 19ème siècle, dans une famille vivant dans un dénuement extrême à la suite du décès du père. Un père peintre, et une passion qui s’est transmise au fils. Urbain pratiquera la peinture en amateur car il travaillera toute sa vie comme ouvrier. La pratique de la peinture est abordée (dans mon souvenir, en tout cas) essentiellement à travers la personne adorée et trop tôt disparue du père. Les carnets laissés par Urbain (600 pages qui décideront Stefan Hertmans à écrire ce récit) traitent en grande partie de l’enfance et de la guerre, qu’Urbain fit dans les tranchées. C’est donc plus un récit familial qu’un roman sur la peinture à proprement parler mais c’est surtout, et c’est l’essentiel, un très beau texte. S’il vous fallait un argument supplémentaire pour vous convaincre d’en envisager la lecture, souvenez-vous que Hertmans nous a donné par la suite (2017) le somptueux "Un cœur converti", à mon humble avis un des meilleurs romans paru ces dix dernières années. Paru chez Gallimard en 2015, disponible en folio.