Un distributeur en retard sur son temps
On distribue des bonbons, des claques et des livres ; et on diffuse du parfum, du savoir et du livre aussi. Le métalangage professionnel use de mots à sa manière, et en librairie, vous entendez le maître des lieux employer des mots que vous connaissez pourtant bien, mais qui ne correspondent pas forcément à ce que vous pensiez. Par exemple, il sort de son chapeau une excuse du genre « je suis désolé, votre livre n’est pas arrivé, le distributeur a du retard ». Et là vous imaginez une sorte de gros distributeur de friandises, ou de billets de banque, ou de tickets de métro, qui a dans le ventre des livres, et qui en plus a un cycle menstruel problématique. Alors clarifions les choses et répondons enfin à ce regard interrogateur de client pas bien convaincu par cette excuse : mais qu’est-ce qu’un distributeur de livres ?
Suspense. Roulement de tambour. Sueurs froides. Silence.
Réponse : le maillon logistique de la chaîne du livre.
Hum. Il semble que la lanterne ne reste que faiblement éclairée : quelques détails supplémentaires s’imposent pour que cette lanterne rayonne comme le phare d’Alexandrie. Attention, on se concentre. Un auteur écrit un manuscrit qu’il soumet à un éditeur, qui dit oui je le veux et qui assure la conception et la réalisation du livre avec l’aide d’un imprimeur. Et de 1. L’éditeur confie la diffusion, c’est-à-dire le faire-part de naissance du petit dernier, à une structure dont le réseau de commerciaux, les représentants, diffusent la bonne nouvelle auprès des points de vente de livre, en les inondant de bons de commande ou en venant prendre le café avec des libraires bavards. Et de 2. La commande est répercutée vers le distributeur, à savoir le grand entrepôt où les livres sont stockés. Des petites mains agiles vont ensuite chercher dans ce dédale les livres commandés, et de 3 et hop ! dans le carton. Carton qui passe entre les bras musclés du livreur, fait un petit tour de camion dans Paris et atterrit en librairie.
Le distributeur c’est donc un peu l’atelier du Père Noël, avec pleins de lutins qui galopent dans un labyrinthe de livres pour satisfaire chaque lubie de lecteurs. Certains vous diront que c’est plutôt l’usine, l’industrie de la culture, la culture industrialisée voire le diabolique grand capital. Mais rassurez-vous, vu la variété des éditeurs, il y a des distributeurs pour tous les goûts : vous n’imaginiez pas qu’il n’en existait qu’un seul tout de même. Des gros, des petits, des alternatifs, des lointains, des rapides, des langoureux … Certains sont même indécis et changent de nom tous les deux ans, histoire de vérifier si le libraire, et surtout son hippocampe, peuvent suivre. Pareil pour les éditeurs qui valsent avec un distributeur un temps puis vont voir ailleurs si l’entrepôt est plus vert. Et que dire de ces vicieux distributeurs qui prennent un malin plaisir à oublier de vous envoyer un carton de nouveautés où devrait se trouver, en quantité non négligeable, le dernier tome de la série de manga, attendu comme le messie par les 3/4 des 8-15 ans. C’est le libraire qui devient alors distributeur, à répéter à intervalles très rapprochés la terrible sentence : « le distributeur a du retard ».