C’est la même chose pour nous, dès que vous franchissez la porte de la librairie
« Oh la la, je le crois pas ! J’ai encore oublié ma carte de fidélité » vous exclamez-vous fébrilement en déversant le contenu de votre sac à main sur les fragiles livres de caisse qui n’en demandaient pas tant. « Pas grave », répondé-je automatiquement en essayant de sauver ce qui peut l’être « Je vais vous en faire une autre et à votre prochaine visite, nous cumulerons le montant de vos deux cartes ». « Et même celui des 47 cartes que je vous ai déjà délivrées au cours de ces 6 derniers mois », ajouté-je quand je vous connais suffisamment pour vous régaler de l’humour de garçon coiffeur qui fait ma réputation dans les bistrots les plus réputés de l’avenue Secrétan.
Disons-le simplement : si chaque carte de fidélité remise était dûment complétée jusqu’à son terme, compte tenu du ticket moyen, les Buveurs d’Encre réaliseraient environ 3 fois le chiffre d’affaire de la Fnac des Halles, ce qui n’est pas [encore tout à fait] le cas. Que cache ce phénomène de déperdition et faut-il s’en inquiéter ? Le budget trimestriel d’impression des cartes de fidélité mine-t-il la rentabilité de votre librairie préférée ? Autant de questions cruciales auxquelles je me propose d’apporter aujourd’hui une réponse argumentée.
Aborder le douloureux problème de la perte des cartes de fidélité, c’est déjà répondre à la question que vous posez toutes et tous, et que les plus rustres d’entre vous n’ont pas hésité à formuler « Mais pourquoi diable avoir choisi ce format à la con, qui ne tient pas dans un portefeuille ? ». Les cyniques ajoutant avec un air entendu « Avouez c’est pour bien être sûr qu’on la paume à coup sûr, avouez ? »
Eh bien, non. Figurez-vous que cela partait d’un bon sentiment. J’avais noté en tant que lecteur que j’étais souvent à la recherche d’un marque-page, et il me semblait que proposer une carte de fidélité qui remplisse en même temps la fonction de marque-page avait du sens pour une librairie. C’était compter sans votre bordélisme légendaire, à vous surtout mesdames, car si vous êtes plus nombreuses que les messieurs à fréquenter la librairie, vous l’êtes aussi, et dans de bien plus vastes proportions, à oublier SYSTEMATIQUEMENT ladite carte. Certes, vous changez de sac plusieurs fois par semaine, certes, vous avez d’autres priorités, mais est-ce si compliqué que cela de plier en deux un bout de carton et de le glisser une fois pour toutes entre disons, la carte de crédit et celle du gymnase club ?
« Ouémédidon, poukikisprend ? vous entendé-je rétorquer. « Si y croit qu’on a qu’la sienne à faire attention, de carte de fidélité ! ». Le fait est que vous en avez autant que de magasins que vous fréquentez. C’est bien là que le bât blesse : carte du Monop, carte de l’Epilpoils, carte du club de sport, carte du Naturalia, et je ne parle même pas de celles des autres librairies où l’esprit d’aventure vous amène à vous abandonner parfois. Après tout, vous faites ce que vous voulez, nous sommes un couple libre. Moi-même, voyez-vous, j’ai eu des aventures avec d’autres client(e)s. Mais si j’en crois le contenu des sacs que vous exhibâtes parfois devant moi, vous êtes nombreuses, coquines que vous êtes, à mettre en pratique le concept berlusconien de la multifidélité.
« Vous ne pouvez pas les gardez, les cartes ? » minaudez-vous parfois. Ma réponse est claire à défaut d’être satisfaisante. NON. Vous avez déjà du mal à garder une seule carte, imaginez-moi avec deux mille. Imparable, non ? Les plus technophiles d’entre-vous ne se laissent pas décourager et me décochent cette botte (qu’elles/ils croient) imparables. « Votre machin, là, – mouvement volontaire de menton en direction de l’écran affichant Librisoft- y peut pas gérer les cartes informatiquement ? » Bien sûr que si, y peut ; c’est prévu. Sauf que cela prend un temps fou à chaque transaction, et que les samedis ou la période d’avant Noël c’est tout bêtement inapplicable. En plus, vous ne l’avouerez jamais, mais je pense que c’est important pour vous de conserver le bout de papier par devers-vous. Ca fait partie de la thérapie. Et puisqu’on a décidé être honnête et de tout se dire, c’est vrai que ce système permet de garder le coût de la carte de fidélité dans des limites acceptables pour la librairie. A savoir 2 à 2,5% du chiffre d’affaire, au lieu de 5% si j’appliquais systématiquement la réduction à tout le monde, sans carte. Vu de l’extérieur, ça peut sembler des arguties de boutiquier, sauf que ça fait une grosse différence. C’est presque le montant d’un salaire annuel net hors charge, et près du double du bénéfice annuel. Petite cause, grands effets… Cela dit, cela ne nous empêchera pas de vous remettre les achats perdus sur une nouvelle carte de fidélité, sans demander de justif’, au tarif syndical de 20 euros le grand format et 7,50 euros le poche. Parce qu’on même si vous n’êtes pas 100% fidèle, on vous fait toute confiance…