L comme… LACHETE

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La glorieuse technique du putois.

Certains jours fleurent bon l’héroïsme et l’honneur ; d’autres moins. Une bonne journée de libraire, c’est des échanges bien sentis, genre ping pong : une question, une réponse, une blague, un commentaire, une proposition, une conclusion, et tchik tchak et bingo. C’est vif, mais ce n’est pas le bordel, et on vend des livres dans la bonne humeur. En plus la météo est clémente, et donc on n’en parle pas, et c’est un tableau idyllique où il manque juste les petits lapins et les papillons.

Mais ce n’est pas toujours comme cela ; certains jours, le blason en prend un coup, et l’on cède à la lâcheté. La faute aux offices nullissimes de la semaine, aux conflits informatiques ou autres plaies d’Egypte. La première des lâchetés, c’est de refuser le combat. Alors puisque j’en suis à vous avouer mes petites bassesses, je vous confierai qu’il m’arrive de fuir quand je vois certains clients entrer ; attention, hein, ce n’est pas du délit de faciès, c’est après de nombreux et vains échanges, qui se sont soldés par une insatisfaction généralisée. Comme ils reviennent, ils font affaire avec mes collègues, moi je déclare forfait et je vais réfléchir à ma prochaine stratégie dans mon donjon, enfin la remise, quoi. Qu’est-ce qui me fait me terrer dans un trou aussi vite qu’un lièvre lors d’une chasse à cour ? Soyons honnête, et ne vous sentez pas concerné, puisque si vous lisez ce blog vous êtes automatiquement retiré de cette catégorie : le vieux con. Celui dont la misogynie n’a d’égal que la prétention, et qui, quand il s’adresse à une femelle qui travaille dans une librairie, lui épelle Flammarion, lui explique que son logiciel là, il se trompe et que ce n’est pas à lui qu’on va lui faire, il connaît les catalogues des éditeurs, lui. Rajoutons qu’il a les dents noires et la chemise maculée de taches douteuses. Donc quand il apparaît, je me drape dans ma dignité, et je fuis.

Sauf qu’on ne peut pas fuir tout le temps, surtout le lundi après-midi, quand le reste de l’équipage est en permission, et qu’on est seul à la barre. Impossible de filer dans la réserve, et d’abandonner le navire. Le second procédé d’esquive consiste alors à refuser le dialogue, avec le sourire, en acquiesçant savamment la tête, l’air pénétré. La technique dite de l’analyste. Très utile en cas de rencontre du troisième type, avec un mec qui se balance d’un pied sur l’autre, les pupilles dilatées et un discours incohérent, qui ferait un meilleur client pour sainte Anne. Ou avec les échappés des comptoirs voisins, à l’haleine chargée, qui vous expliquent en chancelant qu’ils sont roi du rugby ou amateur éclairé de poésie (« Baudelaire, Rimbaud… tout ça, j’aime bien ; et Apollinaire, Alcools, vous connaissez ? »). Le tout est de ne pas éclater de rire, ni laisser transparaître sa peur, bien évidemment.

Pour qu’un échange finisse le plus vite possible, puisque de toute façon tout est perdu d’avance, on en arrive à acquiescer à n’importe quoi, le regard vidé ; ce genre de comportement n’est admis dans le code de déontologie du libraire seulement, et seulement si, l’énergie décuplée à convaincre un client de lire autre chose que le dernier blockbuster de XO le fait fuir, ou adopter une technique d’acquiescement qui vous rappelle quelque chose, ou commence à faire suer concrètement la vendeuse ; alors oui, alors seulement on peut dire que Est-ce que tu es par ici ? ou Les pingouins mangent des petits pois en janvier sont aussi bons que les précédents…

La grande qualité de ces clients c’est au moins de savoir ce qu’ils veulent ; mais imaginez vous dans la peau d’un libraire, aux prises avec une femme clairement dépassée par sa tripotée de lardons bruyants et bordéliques, et qui est capable de vous interroger sous toutes les coutures sur les vertus comparées d’un livre ardoise pour apprendre à écrire et de deux mini albums du Père Castor (car oui, en plus c’est la vente du siècle, pas plus de 7€). Une femme dont la simple apparition dans la librairie vous déprime, tellement son aspect fantomatique inspire la tristesse. Si en plus son moutard se prend à pisser dans la librairie, là je suis lâche, je ravale mon orgueil, je ne souhaite qu’une chose, c’est qu’elle parte, je baisse les yeux comme un vieux cabot qui n’a plus de dents, j’évite de croiser le regard de mon adversaire, je sors la serpillière, et je ne veux pas savoir ce qui s’est passé. Je ferme les yeux, et quand je les rouvre, elle aura disparu. Le stade ultime de la lâcheté, le déni.
Et quand suite à cet épisode douloureux, entre un zozo* qui cherche des livres sur la sorcellerie, je ne vais pas me lancer dans une recherche documentaire dont j’ai le secret, je le jette ; non pas de rayon sorcellerie. Quoique, si vous aviez un filtre de courage, je ne serai pas contre.

*On désigne par zozo, un hurluberlu qui souhaite de la documentation et des livres sur le développement personnel, la lithothérapie, les astroneufs, ou la réincarnation des chiens, ou encore un autre sujet spirituel qui ne manquera de vous surprendre, bas du plafond que vous êtes.

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