O comme…O.P

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En ce moment aux Buveurs d’Encre, un pack de six offert à toute acheteuse de « J »élève mon enfant »

Et O.P comme… Comme quoi, au juste ? Opération Promotionnelle, pardi, même si par pudeur, on s’en tient toujours à l’acronyme. Car nous faisons dans le culturel, ma bonne dame, et faudrait voir à ne pas nous confondre avec les vendeurs de lessive et autres crèmes hydratantes pour le corps. Cette mise au point faite, force est de reconnaître que l’O.P n’est dans son principe pas très différente de la bonne vieille promo du Shopi du coin, ladite O.P servant à « lancer » une nouvelle collection (*) ou à mettre en avant une collection déjà installée dans le but de booster les ventes. Dans ce cas, il s’agit d’assurer à cette collection une bonne visibilité en faisant « entrer en librairie » des titres qui ne s’y trouvent pas habituellement.

L’O.P repose sur le principe vieux comme le monde de l’intérêt partagé (ou supposé tel). Alors à qui profite le crime ?
Aux éditeurs, tout d’abord, qui occupent ainsi le terrain ou font sortir leur stock, lequel a plus de chance de se vendre exposé en librairie qu’en train de prendre la poussière dans les entrepôts. En plus, cela fait entrer de la trésorerie, denrée dont l’éditeur est friand.

Aux représentants, qui lorsqu’ils atteignent les objectifs reçoivent une prime ou à défaut la considération de leur employeur.
Aux libraires, qu’on remercie en leur octroyant « surremise » et « échéance », autrement dit une marge un peu plus conséquente (+ 2 % en général, oui, c’est minable, vous avez absolument raison, mais nous sommes des gagne-petits) et davantage de temps pour régler la cuenta (un ou deux mois de plus, ce qui est bien pratique, des fois). En plus, les libraires en profitent pour commander, en plus des bouquins un peu rares et en quantité, les meilleures ventes de la collection, ceux qu’ils sont à peu près sûrs de placer.

Aux clients, enfin, qui ont droit à leur priprime, y’a pas de raison. La prime consiste souvent en un livre gratuit ou un cadeau. Côté livres, cela peut aller de l’attrape-tout hyper convenu (un livre à choisir entre un vieux Stephen King, un Ludlum, un classique français du XIXè siècle un titre psycho-santé genre «Et si ça venait du ventre ? » et cinq/six trucs du même tonneau) à la vraie bonne idée. Tiens, en ce moment on a en stock quelques exemplaires d’une chouette nouvelle de Zweig, Le bouquiniste Mendel, à remettre à chaque acheteur de deux Cahiers Rouges. Ben ouais, la prime est censée être la contrepartie de l’achat, voire même sa motivation. Dans les librairies de quartier, on a tendance à ne pas respecter à la lettre les consigne de l’éditeur, voire à ne pas les respecter du tout, ce qui ne gêne personne, surtout pas l’éditeur ou le représentant, tant qu’on prend l’O.P, on peut bien faire ce qu’on veut avec les cadeaux, ils s’en tamponnent. La prochaine fois que vous passez à la librairie, demandez-nous donc le Zweig, on vous le donnera avec plaisir (**) (***). En plus, cela nous fera un test et on saura si on nous lit ou si nos pauvres écrits se perdent sans espoir de retour dans le vide immense du cyberespace.

Côté cadeaux, là aussi on distribue à tort et à travers. Attention, pas d’affolement, n’espérez pas vous monter en ménage en guettant les O.P. Pas de chaîne-hifi, même pourrie, à gagner, pas de machine à café, les tasses à la rigueur. On reste dans le domaine du gadget. Des O.P, il y en a toute l’année, mais la grande saison, c’est tout de même l’été, époque où le monde du livre entre en sommeil (très peu de titres sortent entre la mi-juin et le 20 août, et, rien d’indispensable, soyez-en sûr). La place est donc libre pour que s’épanouissent les opérations promotionnelles les plus ébouriffantes, chaque éditeur y allant de la sienne. Alors, pour les cadeaux, direction la plage. Le sac de plage est un classique, de même que le bob ou la serviette, cela a été fait plusieurs fois. Pour ceux qui partent en Bretagne, Viviane Hamy proposait il y a deux ou trois ans de très jolis parapluies (****). Je me souviens aussi du Seuil, je crois bien que c’était le Seuil, qui nous avait très généreusement dotés de 100 exemplaires de paréos Antik Batik (je les ai comptés), de bonne qualité d’ailleurs, j’ai toujours le mien. On les avait mis en carton avec une étiquette « Servez-vous », cela donnait à la librairie un petit côté vacances. Sac de plage, bob, paréo, j’attendais qu’un pubeux intrépide complète la collec’ en nous proposanr cette année le string Folio ou 10X18, mais il semble que l’audace (ou le mauvais goût) ait ses limites. Au moment où j’écris ces lignes, l’été se termine et les promoteurs ont remballé les nattes de plage. L’O.P change de nature et –rentrée oblige- vise plus particulièrement les enfants. La dernière en date concerne le lancement d’une nouvelle collection, Têtard est son nom. La prime est un sachet de bonbons, style haribo. Ces petites boules de gomme, (devinez ce qu’elles représentent) au goût artificiel de pommes écoeurant se révèlent assez addictives. J’ignorais que les grenouilles vivaient dans les arbres. A moins que le bonbon au bon goût de mare, avec des vrais morceaux de moucheron dedans ait été retoqué au blind test. Ce n’est de toute manière pas très grave ; il est peu probable que vos enfants en voient un jour la couleur, car figurez-vous que je suis en train de bouffer méthodiquement, paquet après paquet, les bonbons destinés à vos enfants, m’adonnant ainsi à la fois au péché de gourmandise et à ce qui d’un point de vue juridique doit constituer un abus de bien social caractérisé. Y’a pas à dire, c’est chouette d’être libraire.

* la collection, c’est l’ensemble des livres de la même famille chez un même éditeur. Folio est une collection de Gallimard
** dans les limites des stocks disponibles, comme on dit, qui ne sont quand même pas énormes
*** Cela dit, vous avez aussi le droit d’acheter deux Cahiers Rouges, on ne vous en voudra pas.
**** Je sais : en Bretagne /a) Il fait beau plusieurs fois par jour /b) il ne pleut que sur les cons

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