Ca pour faire le guignol sur un toboggan, il est doué. Mais pour s’occuper du rayon polar ?
Quand on se retrouve à une soirée avec des trombines inconnues et qu’on se fait des ronds de jambe pour voir si on va danser ensemble le menuet un bout de temps, arrive assez vite sur le tapis la question du « Et tu fais quoi dans la vie ? ». En général, je ne mens pas, et dis la vérité dans toute sa splendeur : je suis libraire. L’avantage indéniable de la chose, c’est que ce métier est rapidement identifiable (une fois évacuée la confusion avec le métier de bibliothécaire tout de même), genre boucher ou postier. Ce n’est pas comme prestataire de services dans une SSII axée sur la programmation, ou digital manager d’une start up. Donc je dis que je suis libraire, et en général on me regarde avec étonnement, un petit soupir attendri (les gens aiment bien les livres, et donc les gens qui bossent dans le livre par contamination, même s’ils ne lisent pas), et le fatal « ça existe encore ? ». C’est là que je me sens comme un panda : on trouve le libraire mignon, mais voué à disparaître.
Haro sur les fausses idées sur le métier de libraire. Non, je ne suis pas un panda. Tout d’abord, nous ne sommes pas en voie de disparition, du moins à Paris. Ce doit être la ville avec la plus importante densité de librairies indépendantes au mètre carré. C’est pas difficile, il y en a partout ; pas autant que des opticiens ou des chausseurs, certes, et sûrement pas aussi rentables, mais quand même on ne peut pas dire qu’on manque de librairies à Paris. Certaines ferment, mais il y a toujours de nouvelles librairies qui s’ouvrent. Et deuxièmement, le libraire ne passe pas ses journées à lire en grignotant du bambou.
Je n’aime pas l’idée du métier en voie de disparition, genre les petits métiers d’autrefois (rémouleur, orgue de barbarie, et toutes ces choses qui sentent la naphtaline) ; je ne vois pas l’intérêt de la chose si c’est pour finir empaillé ; à quoi bon ? ou ce métier a une raison d’être, ou il n’en a plus, et dans ces cas-là pas besoin on coupe le respirateur artificiel. Personnellement, je suis sûre qu’il en a une, alors bon, je me vois plutôt en fier cheval sauvage galopant dans Monument Valley ou en dauphin ondulant parmi le courant. Je ne suis pas un plantigrade paresseux et obèse. J’ai ma fierté.
Je suis tellement fière que je suis toujours un peu offusquée par les gens qui me disent « non, moi, je vais toujours chez un libraire, il faut bien, ils en ont besoin ». Oui on a besoin de clients, sûr que sans eux, on coule, mais les clients ont besoin de nous, hein, faut pas se forcer quand même, je vous rappelle qu’on est utile ; les pandas, c’est joli, mais c’est vrai que ça sert à rien. Alors que la pouliche athlétique elle vous permet de traverser la pampa éditoriale, je le rappelle.
L’année dernière, le zoo de Beauval a fait venir à grands frais et vaste orchestre médiatique deux pandas géants de Chine ; un libraire de Besançon en grande difficulté avait alors lancé sa propre campagne de communication : « un libraire vaut-il un panda ? », montrant par là qu’on investissait beaucoup dans le panda et pas dans la librairie. Vous voyez bien qu’on n’est pas des pandas.