Voici deux albums qui, chacun à leur manière, nous parlent de la Chine et plus précisément de la condition de la femme dans l’Empire du Milieu, à travers les itinéraires personnels de femmes chinoises du début du 20ème siècle jusqu’à nos jours.
Li Kunwu, à qui l’on doit le passionnant récit autobiographique UNE VIE CHINOISE revient avec cette fois-ci le récit d’une vie, celle de Chunxiu qu’il connut enfant, et qui était déjà une vieille femme quand elle devint sa nounou. L’histoire commence au tout début du 20ème, quand Chunxiu, fillette née au sein d’une famille paysanne aisée, subit le procédé du bandage des pieds. Si la mère de Chunxiu choisit de lui imposer cette douloureuse mutilation (elle-même n’a pas les pieds bandés), c’est dans l’espoir de voir sa fille s’élever dans l’échelle sociale en se trouvant un mari au-dessus de sa condition. Avoir les pieds bandés était en effet l’apanage des femmes de condition élevée, puisqu’elles ne pouvaient ensuite exercer que des tâches domestiques simples, ce que ne pouvaient pas se permettre les familles pauvres. Les pieds bandés, c’est aussi pour les mâles chinois de l’époque, l’objet d’une véritable fascination érotique, très bien rendue par le récit. Ils ont inspiré de nombreux poèmes et des manuels érotiques, car ils étaient considérés comme des zones érogènes.
Pour Chunxiu cette mutilation va se doubler d’une malédiction qui la poursuivra toute son existence. Car elle devient adulte à une époque où les choses changent en Chine. La Chine impériale cède la place à la Chine nationaliste, qui s’empresse d’interdire cette pratique féodale. Sous les communistes, les choses empirent encore, car avoir les pieds bandés, c’est en plus la preuve que l’on faisait partie du groupe honni des classes possédantes… Triste destin que celui de Chunxiu, superbement illustré par Li Kunwu dans un très beau noir et blanc. L’auteur, qui a débuté dans le dessin de propagande, a choisi un style réaliste très éloigné cepednant des affiches de fiers paysans et de paysannes enthousiastes qu’on pouvait voir un peu partout en Chine. Une belle réussite .
Avec Le fiancé chinois nous retrouvons la ville de Kunming quelques dizaines d’années plus tard, pour un récit qui nous plonge, sur deux générations, dans la vie d’une famille chinoise. Le récit est centré essentiellement sur la figure de deux femmes, Lan et sa belle-fille Pad. L’histoire commence en 1984. Lan, 22 ans, rencontre son futur époux dans le cadre d’un mariage arrangé. Elle aurait aimé autre chose, peut-être, mais cela aurait signifié aller à l’encontre des voeux de ses parents. Un choix difficile… C’est d’ailleurs ce qui transparaît tout au long de cet album, le poids des traditions, qui fige la place de la femme, dont le rôle essentiel est de donner un héritier mâle à la famille. Du jour où Lan tombe enceinte d’un garçon, sa situation au restaurant familial et ses relations avec sa redoutable belle-mère s’améliorent nettement. Lan utiise d’ailleurs avec habileté ce nouveau statut. Si les règles et la tradition ne peuvent être ignorées, qu’est-ce qui interdit de les utiliser à son profit ?
Quand viendra le moment de marier son fils et d’accueillir une bru, Lan va reproduire la situation dont elle a souffert avec sa propre belle-fille. Pour Pad, la belle-fille, la situation est encore plus dure à supporter, car elle vient d’un pays et d’une culture différente. Pad vient des montagnes du nord du Vietnam, elle est de l’ethnie Hmong ? Comment en vient-elle à épouser le fils de Lan qui vit à Kunming ? C’est l’histoire que nous raconte Laure Garancher dans ce premier album. L’auteur connaît bien la région dont Pad est originaire puisqu’elle y a passé quelques années pour l’OMS. Le graphisme, à la fois naîf et expressif, contribue à la réussite du récit. Laure Garancher a réussi à rendre très touchantes ses héroines, qu’on ne peut quitter sans un pincement au coeur.
Les pieds bandés – éditions Kana – 15 euros
Mon fiancé chinois – éditions Steinkis – 14.95 euros