Vous vous souvenez du « temps de cerveau disponible », ce concept évoqué il y a quelques années dans un sidérant mélange de cynisme et de candeur par le patron de TF1, qui le définissait comme la monnaie d’échange que proposait sa chaîne aux annonceurs contre espèces sonnantes et trébuchantes ? Gérald Bronner part d’un constat simple et inattaquable. Jamais ce « temps de cerveau disponible » n’a été aussi important car jamais nous n’avons eu autant de temps libre. Jamais non plus nous n’avons eu à notre disposition autant de sources d’information, autant de moyens d’accéder à la connaissance (et depuis la déclaration de Monsieur Le Lay et la grande messe du JT de 20 heures, bien de l’eau a coulé sous les ponts, bien d’autres écrans ont envahi nos vies !).
Cette situation devrait en théorie nous permettre d’exercer notre esprit critique, de nous ouvrir aux arts, aux sciences, à la littérature… de devenir plus sages, plus savants et -pourquoi pas- plus heureux. En définitive, il n’en est rien. La concurrence généralisée de tous les types d’informations nous « tire vers le bas » car pour capter notre attention, dans ce grand marché du temps de cerveau disponible, les sources instrumentalisent, algorithmes à l’appui, les aspects les moins reluisants de notre nature humaine.
L’un des principaux intérêts des propos développés par Gérald Bronner dans cet essai qui s’appuie à la fois sur la sociologie et les neurosciences, est de renvoyer dos à dos les tenants « la sociologie naïve » et les populistes de tout crin. Les premiers voient dans cette cacophonie un aspect néfaste du capitalisme, peu ou prou volontairement organisé pour abrutir les masses afin de mieux les exploiter (je caricature un peu son propos), les populistes se réjouissent du phénomène de désintermédiatisation permettant de faire triompher « le bon sens » en délégitimant la parole des « élites ». Constat pessimiste, certes, mais il resterait une voie étroite passant par une prise de conscience individuelle, qui nécessite d’abord de comprendre et d’accepter notre nature profonde. Pas le plus simple me direz-vous. Apocalypse cognitive est une lecture passionnante, un essai très argumenté et particulièrement bienvenu dans la période que nous traversons, en tout état de cause une excellente manière d’utiliser une petite partie de notre temps de cerveau disponible.
19 euros – Presses Universitaires de France