Il n’est pas si fréquent d’être mis en présence d’un roman aussi original, aussi dérangeant, aussi réussi que La permanence des rêves. Aussi difficile à proposer, est-on tenté d’ajouter, tant le sujet du livre est de nature à faire fuir le lecteur potentiel. En voici un bref résumé :
Humphrey Winock, chercheur américain et fondateur d’une association de lutte contre les sectes, est convié à faire une série d’interventions à l’université de Princeton, avec comme objectif de déconstruire le mythe qui se développe autour de Thomas Prudhomme, un gourou d’un type particulier contre lequel la panoplie d’outils juridiques habituellement utilisés s’avère inefficace.
L’entourage de Prudhomme récuse d’ailleurs ce qualificatif et revendique pour lui le statut d’œuvre d’art. Une œuvre d’art extrême puisque Thomas Prudhomme s’est volontairement fait amputer des quatre membres, qu’il s’est fait crever les yeux, couper la langue et ôter la cloison nasale. Privé de tous ses sens, il s’expose depuis deux ans dans un hôtel particulier parisien et sur l’internet.
Cette « performance » déclenche à travers le monde une série d’automutilations commises par des individus fragiles qui souhaitent mettre en pratique le concept de « vérité cellulaire » théorisé par certains à partir de l’acte de Prudhomme. La fascination pour Prudhomme se trouve encore renforcée par le total mystère qui enveloppe l’individu et son acte fou. Car de lui, le public ne sait rien. Thomas Prudhomme est « apparu » du jour au lendemain dans l’hôtel de l’avenue Frochot et sur la toile. Son exposition ne s’accompagne d’aucun manifeste, laissant la voie libre à tous les délires et aux supputations les plus folles. Lesquelles ne manquent pas, certains en font un nouveau messie.
C’est cette fascination qu’Humphrey Winock se donne pour mission de combattre. Et pour démythifier Prudhomme, il enquête sur son passé, cherche à identifier les racines du mal et, surtout, à ramener l’acte de Prudhomme à ce qu’il est à ses yeux : le geste insensé, pathétique et pitoyable d’un pauvre fou. Ramener Prudhomme au statut de victime de sa propre folie afin qu’il n’inspire que la pitié.
L’enquête menée par Winock est le fil narratif du livre et l’objet de ses interventions successives auprès des étudiants de Princeton. Cette parenthèse universitaire dans la vie de Winock, qui n’est pas enseignant de métier, correspond à une phase de remise en question personnelle. Remise en question de son rapport à Thomas Prudhomme, qui devient plus ambigu au fur et à mesure que progresse la narration, remise en question de sa vie actuelle, un total naufrage depuis le drame personnel qui l’a frappé, drame à l’origine de son engagement.
Sur notre rapport au corps, sur l’art contemporain, mais avant toute sur les valeurs de notre modernité, notre besoin de transcendance, La permanence des rêves est un roman qui pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses. C’est ce qui fait sa richesse et son intérêt. Un très bon, peut-être même un grand livre.
Editions P.O.L – 21 euros