Allez, tous en choeur derrière nous.
Malgré un intérêt certain pour les discomobiles, ma carrière de disc-jockey a avorté spontanément, et j’ai dû me rabattre sur la librairie. Mais nous revoilà tout de même confrontés à la question de l’ambiance musicale, car notre modeste échoppe est équipée d’un mange-disque. En fait il était même censé manger les ipods et les clés usb, ce qui réjouissaient les modernes que nous sommes, mais comme on a pris un truc Proline, l’engin s’avère être une fine bouche. Impossible de coller ma playlist d’enfer, 628 morceaux variés et élégants. Fine bouche, et dure d’oreille : la machine ne connaît pas vraiment la nuance dans le volume ; ou c’est fortissimo ou c’est silenzio radio. On a dû planquer les baffles très haut et les retourner contre le mur…
Alors nous voilà retournés au XXe siècle et au bon vieux CD. Mais là, j’ai envie de dire, comme 60 millions de consommateurs, que choisir ? quel miel verser dans vos oreilles ? du jazz ? du rock ? de la chanson à textes ? du smooth trip hop ? de la world dansante ? dans le doute, et en l’absence d’étude convaincante sur le comportement des consommateurs en fonction des ambiances sonores, on met en général ce qu’on aime, et on apporte nos CD. Après tout, on est les premiers concernés. Et c’est là que ça se complique.
D’abord parce qu’on est parfois flemmard, et qu’on rappuie sur le bouton play sans changer de disque. Ce qui fait qu’on peut écouter douze fois le même album. C’est beaucoup. Et même si vous avez une profonde admiration pour un artiste, douze fois, ça commence à sentir le vinaigre. Et vous avez beau planquer le CD au fond du tiroir, votre collègue finit toujours par le retrouver et le remettre, et dès les premières notes, ça commence à vous hérisser le poil.
Et que faire quand votre estimé(e) collègue se prend de passion pour le tango, ou la musique celte, ou les polyphonies corses, et se met à vous inonder avec ? Il n’y a plus qu’à espérer qu’elle/il se mette au yoga ou à la couture, enfin un truc silencieux. Se pose aussi le problème du chant. Comment faire quand ce(tte) collègue, au demeurant charmant(e) et bourré(e) de qualités, chante tellement faux que cela surprend à chaque fois ? Comment réagir quand certain(e)s se mettent à chantonner du Michel Sardou ou Joe Dassin? Tout de même, empêcher les gens de chanter risque de nuire à notre légendaire team building (*)…
Autre alternative aux CD, la radio ; en jetant l’antenne souple dans la vitrine, on parvient à capter sans trop de grésillements quelques stations. On évite l’écueil de la radio libre bourrée de spots publicitaires, qui interviendrait sur le thème de « avec Mammouth, on écrase les prix » au moment où vous tentez tant bien que mal de convaincre un client d’acheter un coffret Chris Ware à 70€. J’aime bien Fip, parce qu’il n’y a pas de pub, et une programmation épatante. Sauf certains samedis après-midi, où ils sont capables d’enchaîner Barbara avec Léo Ferré, ce qui se révèle un poil lugubre.
C’est pour cela qu’il arrive régulièrement que lorsque vous franchissez le seuil de la librairie, il n’y a pas de musique. C’est apaisant le silence aussi.
(*) Si quelqu’un suggère une soirée karaoké comme séminaire d’entreprise, elle sera châtiée lentement, mais sûrement, et longuement.