Depuis plusieurs années, Jane Fairchild est bonne chez les Niven, famille anglaise sur le déclin. En 1924, elle a une vingtaine d’années, et profite de ce jour de repos traditionnel (le dimanche des mères est une journée accordée aux personnels de maison pour rendre visite à leurs parents) pour rejoindre son amant, Paul Sheringham. Il est l’héritier d’une autre riche famille proche des Niven, et doit se marier dans deux semaines avec Emma, du même milieu social que lui. Jane et Paul vont jouir une dernière fois de leur intimité, dans la chambre de Paul, dans une maison vidée de ses occupants.
Jane pose un regard précis sur cet univers de riche demeure anglaise : les lieux, leur disposition, les gens qui les occupent, les coulisses, les gens qui entretiennent ces endroits, les choses qu’on sait et que l’on tait. Tout un jeu de silence, de non-dits, d’imagination est développé par ce personnage, qui sort de la périphérie du décor, pour poser un éclairage nouveau sur ce monde.
L’écriture de Graham Swift est particulièrement élégante, et pourtant semée d’images audacieuses, et de coups de griffe. Le jeu de perspective (le destin hors du commun de Jane nous est révélé au fil du récit) est parfaitement réussi : on se concentre sur un après-midi de mars 1924, qui devient pivot, explosion, renaissance d’un personnage et d’un destin.
Je ne résiste pas au plaisir de vous citer un passage :
« Etrange, le besoin de ces gens-là d’orner leurs murs de tableaux, car elle ne se souvenait pas avoir vu Ms ou Mrs Niven en contempler un. Peut-être n’étaient-ils là que pour être regardés du coin de l’oeil ou appréciés par des visiteurs. Voire pour que les bonnes les étudient de près et en deviennent des amateurs éclairés à force d’épousseter leurs cadres et de nettoyer leurs verres. »
Traduction de l’anglais par Marie-Odile Fortier-Masek.
Gallimard Du monde entier – 14,50€