La librairie est un petit théâtre, vous diront les libraires lyriques et satisfaits. De fait, le quotidien peut avoir des allures de vaudeville (le samedi en septembre), un air de grosse production de Broadway (le 24 décembre) ou des relents beckettiens (un lundi au mois d’août). Mais loin de diriger l’ensemble, le libraire, même lyrique, n’est que le régisseur. Les mains qui tournent frénétiquement les pages de romans, de bandes dessinées, d’albums jeunesse, d’essais ne sont pas de délicates menottes mais bien des pognes calleuses et habiles, qui se précipitent sur la trousse à outils dès qu’elles le peuvent, qui changent une ampoule plus vite qu’Edison, et rafistolent en sifflotant. On reconnaît un libraire dans l’œuf à son nombre de médailles scout, ou à sa collection de vidéos de MacGyver.
Donc on bricole en librairie, et comme des chefs ; les éditeurs l’ont bien compris et n’hésitent donc plus à expédier des PLV. Ce poétique acronyme désigne les publicités sur le lieu de vente, à savoir tous les présentoirs et autres mobiles ou paravents que les plantureux départements marketing des maisons d’édition inventent pour mettre en valeur une énième collection. Elles arrivent en kit et avec un mode d’emploi, quand il est vraiment nécessaire, digne d’un haïku : bref, hermétique et à double sens. Livré à lui-même, le libraire laisse son instinct bricoleur le guider et réaliser ce merveilleux présentoir en carton à l’aide de 18 morceaux de carton strictement identiques, mais qui se plient aussi ingénieusement qu’un origami niveau expert olympique. Peut-être vous souvenez-vous aussi de cette charmante tour pour mettre en valeur une collection pour enfant, d’un mètre cinquante de haut et agrémentée en son sommet d’une cloche en plastique où des boules à paillettes tournaient grâce à un petit moteur. Splendide. Quoique malheureusement, le moteur tombât en panne dans l’heure qui suivit l’inauguration, et sous les assauts enthousiastes des bambins, l’ensemble finit par se disloquer. Il faut parfois savoir mettre aux ordures ces chefs d’œuvre de carton, et c’est la mort dans l’âme que l’artiste bricoleur doit s’avouer vaincu.
Vous comprendrez donc aisément pourquoi les Buveurs d’encre sont installés à côté d’une grande enseigne consacrée à ce noble loisir. Notez que ce temple des tentations ne recule devant aucune audace pour vous surprendre : vous cherchez banalement des clous et des vis et vous ressortez aussi avec une friteuse et du vernis à ongles. Encore un peu et ils vendraient des livres…