C’est la rentrée : j’irais bien faire un tour aux Buveurs d’encre, m’acheter des classeurs et des chaussettes.
La tentation est parfois grande pour le libraire éreinté, dont la salive vient à manquer, de faire comme un de ses collègues italiens qui, dans sa charmante boutique, une librairie de cinéma romaine, avait listé derrière le comptoir l’ensemble des choses qu’il ne vendait pas : ni timbres, ni tickets de métro, ni t-shirts, etc. Pas forcément très accueillant, mais le fait est là, nombre de gens ne savent pas qu’en librairie on vend des livres. Et ils entrent pour demander tout autre chose, amèrement déçus par ce commerce bien peu utile.
Avec le recul, le libraire constate avec étonnement que la librairie et le livre sont associés à bien des choses. Evidemment qui dit livre dit papier, et l’on vient souvent nous demander des ramettes de papier machine, des cahiers, des agendas ; qui dit papier dit papier journal, on s’aventure à nous réclamer Télé 7 jours, Télé Z et L’équipe ; et qui dit papier dit encre, donc on vient aussi quémander des stylos, des effaceurs, des cartouches d’encre et des recharges de stylos. Qui dit papier, encre, dit lettre, donc on vient aussi nous solliciter pour du papier à lettre, des enveloppes et des timbres, et bien sûr des cartes postales. Alors par chance la librairie s’est doté d’un assortiment de cartes postales de Plonk & Replonk, toutes plus absurdes les unes que les autres. Ca contente rarement ceux qui cherchent une belle vue de la Tour Eiffel, mais ça ravit ceux qui y voient une échappatoire à l’insipide carte de vœux. Car qui dit carte postale dit carte de vœux, d’anniversaire, de naissance, de mariage, de condoléances (tout de suite moins faciles à placer les Plonk & Replonk). Ensuite le processus d’association par dérivation s’emballe un peu puisque certains viennent quérir des cartes à jouer, des cartes de stationnement, des cartes routières de la Meuse et parfois des cartes de tarots divinatoires.
Moins mystiques, mais plus réguliers, ceux qui passent de l’écriture aux écritures comptables ou administratives et prospectent en vue d’un modèle de bail, de contrat de location ou d’un facturier. Et bien sûr au mois de septembre galopent de toutes parts les égarés de la rentrée scolaire qui quémandent copies doubles, classeurs, protège-cahier, compas, équerre, œillets (complètement oublié l’existence de ces petites choses d’ailleurs, je ne pensais pas que cela avait survécu au changement de siècle), et l’insaisissable flûte à bec. Car si les professeurs de musique masochistes n’ont pas encore renoncé à cet instrument de torture, peu de magasins fournissent cette came si dangereuse. Je ne crois guère qu’il n’y a plus que les gros dealers de Saint-Michel qui en écoulent encore.
Je ne moque pas car je sais bien que de nombreux éléments peuvent induire le badaud en erreur. Si on ouvre l’annuaire, librairie et papeterie sont associées. Je vous avouerai même que la convention collective de la librairie est intitulée « commerce de détail de papeterie, fournitures de bureau, informatique* , librairie ». Sûr qu’on a l’habitude d’accoler papeterie à librairie, comme la charcuterie à la boucherie, la pâtisserie à la boulangerie, les fruits aux légumes, la presse au tabac, l’auto à la moto, alors si je demande du céleri rémoulade au monsieur qui hâche les steacks, pourquoi je ne demanderais pas des enveloppes à des gens qui vendent des livres.
Raté ! car depuis quelques temps, la librairie a divorcé de la papeterie, et on trouve de moins en moins ce type de magasins ; parce qu’il faut bien le dire, ce n’est pas vraiment le même métier, et que vu le nombre croissant de livres et la problématique immobilière parisienne, il faut bien faire des choix et se concentrer sur ce qu’on sait faire, et a fortiori, ce qu’on aime. Parfois cependant on se sent seul, face à une personne qui lance un « vous ne faites pas les photocopies ? », après avoir fait le tour du magasin, lorgné dans la remise en espérant plus. Humble réponse que la mienne, « je ne vends que des livres » ; et s’il savait, même pas tous…
En même temps, moi aussi j’ai des appétits papetiers, j’en ai besoin de ces facturiers, rouleaux de scotch et autres gommettes ; comme la première papeterie digne de ce nom à la ronde est à Louis Blanc, j’invite les risque-tout à se lancer dans l’aventure du commerce, et d’inaugurer une carterie-papeterie dans les environs proches.
* là je me gondole joyeusement, car vu le niveau informatique moyen du libraire, c’est à la limite du sarcasme.
Je ne résiste pas : la semaine même où on poste ce billet, entre une dame d’un âge respectable, qui doit avoir une belle expérience de la vie, de l’amour, de la mort, du travail, mais sûrement pas de la librairie : elle cherche du papier peint.