No comment. (et merci à Pénélope Bagieu)
Est-ce que vous voulez un sac plastique ? Je pose la question plusieurs dizaines de fois par jour, bien que la plupart du temps, je puisse deviner la réponse, un peu comme ces marchands de souvenirs qui se targuent assez sottement mais avec raison de trouver la nationalité d’un touriste avant même que celui-ci ouvre la bouche.
Quel est mon truc ? Honnêtement, je ne sais pas. L’expérience sans doute, toujours est-il que très vite, je peux dire à quelle famille vous appartenez. D’ailleurs, vous allez sans doute vous reconnaître…
1. Le saccuplastikophile (ou collectionneur de sacs plastiques, puisque toutes les perversions sont dans la nature) est un être suffisamment fascinant pour qu’on prenne la peine de lui consacrer deux sous-catégories. Nécessaire précaution, puisque comme le philatéliste, le saccuplatikophile moyen n’existe pas et s’épanouit dans les extrêmes. A l’instar de son lointain cousin (philatelistus commun), le saccuplastikophile courant a soit dépassé la soixantaine soit use encore les bancs du collège.
Privilège de l’âge, intéressons-nous d’abord au saccuplastikophile senior, Il (elle, en fait, dans la majorité des cas) débarque à la librairie lourdement chargée de ses trophées du jour. L’œil exercé du libraire reconnaît sans peine au bras de la saccuplastikophile senior, le sac de la boucherie d’à côté, celui de la poissonnerie et des autres commerces du coin qui distribuent encore du pochon en veux-tu en voilà. Le livre qui fait l’objet de la transaction du jour tiendrait bien 12 fois dans le sac king size du magasin de chaussures (qui ne contient sans doute qu’une paire de chaussettes) mais je vais quand même poser la question dont, je vous l’ai dit, je connais la réponse. Ca ne rate pas « Oh oui, un petit sac. Ils sont tellement bien, vos sacs plastiques ». Compliment qui me va droit au cœur et vaut à la flatteuse une brassée supplémentaire de pochons. « En plus, précise-t-elle souvent malicieusement, je vous fais de la publicité ».
Le saccuplastikophile junior est moins enclin à jouer l’homme sandwich pour les beaux yeux de la librairie. D’ailleurs, son livre une fois emballé, il va l’enfouir dans le sac Eastpack de 27 kilos sous lequel il ploie et dans lequel règne un indescriptible bordel. Le sac rouge et blanc des buveurs d’encre joue essentiellement le rôle d’une balise Argos qui lui permettra de localiser l’objet à l’heure du cours de français.
Si les saccuplastikophiles ne constituent qu’une petite partie de notre clientèle, l’espèce ne semble pas menacée, compte tenu de l’apport de sang neuf venu des collèges autour. Aussi, confiants en l’avenir, venons-nous de repasser une commande annuelle de 26 000 sacs plastiques, la même que l’année dernière.
2. L’abstinent : les rares fois où je ne le détecte à temps et que je lui pose LA question qui tue, l’abstinent(e) me regarde comme si je venais de lui proposer un truc franchement dégueu. « Un sac plastique, tu m’as bien regardé, sinistre individu ? » Tu ne répandras pas le plastique en vain pourrait être son estimable credo. J’encaisse alors l’affront, remballe la marchandise et me dis que mon heure viendra bientôt. Car même L’abstinent, parfois, est obligé de mettre du vin dans son eau. Ainsi j’en vois parfois, venant du NATURALIA d’à côté, franchir les portes de la librairie, les bras chargés de produits bons pour la santé, sans doute, mais compliqués à transporter à pied ou à vélo. Que cherchent-ils ? Un livre ? Un conseil ? Non pas : juste l’une de ces choses honnies mais bien utiles que Naturalia ne distribue pas, pas gratuitement en tout cas. J’obtempère, en ce cas. La satisfaction procurée vaut bien les quelques centimes du pochon.
3. Le centriste également appelé écologiste intermittent est tiraillé entre deux aspirations contradictoires. La première le pousse à se faciliter la vie, et donc à accepter le sac tendu par le libraire obligeant. L’autre – son inclinaison naturelle – le conduit à privilégier la protection de l’environnement, à rêver donc d’un monde meilleur, sans sac plastique. Heureusement, j’ai l’argument qui va permettre au centriste de sortir de ce dilemme par le haut. « Nos sacs plastiques sont biodégradables », rassuré-je le centriste, Cela suffit, généralement à faire taire ses scrupules. Mais au juste, combien de temps le plastique ainsi traité met-il à se dissoudre ? Eh bien, c’est un peu comme le fût du canon (*), il met un certain temps. En poussant un peu l’enquête, on trouve sur le net des vidéos qui nous montrent le truc se décomposer en accéléré, processus qui prend environ 3 ans. Fascinant spectacle… Quant aux sacs papier, qu’on nous réclame à cor et à cri, je suis navré de doucher votre enthousiasme mais, non, on n’en aura pas. Pas de place pour les stocker, ils prennent à peu près 10 fois plus de place et puis ils coûtent presque 3 fois plus cher. Il faudra donc vous contenter de ce qu’on a en magasin. Bon, c’est pas le tout, je vous mets un livre, avec votre sac plastique ?
(*) fine allusion qui fera pouffer dans les maison de retraites. Les plus jeunes cliqueront sur ce lien pour découvrir ce qui faisait rire leurs grands-parents dans les années 60 du siècle dernier. Impossible de trouver trace du cultissime « fut du canon » mais le 22 à Asnières est pas mal dans le genre, et tout aussi hermétique pour la jeune génération.