De la guerrière en nuisette pour booster les ventes : le pire c’est que ça marche.
»« Holala, mais comment donc faites-vous, entre tous les chatoyants ouvrages qui vous parviennent, pour mettre justement en évidence, avec une acuité jamais prise en défaut, ceux là même qui nous titillent les neurones et subséquemment dénouent les cordons de nos porte-monnaie, dans lesquels vous puiserez à loisir ? Oui, comment faites-vous vos choix, coquins que vous êtes ? » nous interrogez-vous en nombre et en substance.
»« C’est bien peu de choses », rougissons-nous, les yeux modestement baissés sur le tiroir-caisse. »Peut-être est-ce dû à une connaissance encyclopédique des catalogues d’éditeurs, à un goût très sûr. Sans doute est-ce aussi l’expression d’une connaissance intime de vos inclinaisons naturelles » ». Ce qui est l’exacte vérité, n’en doutez point. Pour être complet, il faut évoquer aussi les conseils et indications des vingt et quelques représentants que nous recevons régulièrement et qui nous aident à faire le tri. De préciser qu’un suivi régulier de la presse ne nuit pas ; l’expérience nous ayant appris que vos principales sources d’inspiration sont en ordre décroissant Le Monde, Télérama et France Inter, ne vous étonnez pas de trouver assez facilement sur table une partie des ouvrages mentionnés par les media susnommés.
Voilà pour l’essentiel, mais je m’en voudrais de passer sous silence l’existence des fameux « classements des meilleures ventes », qui sont aux librairies indépendantes ce que les journaux people sont aux salons de coiffure : personne ne les lit mais tout le monde sait ce qu’il y a dedans. Sachez qu’il en existe deux sortes. Le premier classement est national, c’est l’équivalent livresque du « Top 50 » animé par le regretté Marc Toesca. Relayé par Livres Hebdo, le canard de la profession, ce classement mêle les ventes de la Fnac, des sites internet, de Carrefour, des centres Leclerc et des librairies de quartier dans un joyeux salmigondis.
Dans le classement Romans, année après année, Amélie Nothomb pointe en première place dès la 1ère semaine de septembre. Catégorie Essais, c’est souvent le témoignage d’une quelconque cochonne, vedette de l’émission de télé-réalité du moment. * En tête des BD, c’est immanquablement Titeuf ou Astérix, et en ce moment Bourgeon. Pas grand-chose à en tirer que l’on ne sache déjà. De plus, le fait que les gens se précipitent en masse sur un produit ne garantit pas l’excellence de leur choix. Personnellement, savoir que 34 millions de personnes regardent OM-Barcelone sur TF1 ne m’empêchera pas de préférer, à la même heure et sur une autre chaîne, un documentaire sur les rites amoureux du diable de Tasmanie.
Le classement des meilleures ventes relayé par Livre-Hebdo n’a de fait aucun intérêt pour nous, librairies de quartier. Plus intéressant, et moins connu du grand public, est le classement Datalib *. Le classement Datalib est un bon exemple d’échange participatif entre environ 180 librairies qui se communiquent quotidiennement l’état détaillé de leurs ventes, de leurs achats et de leurs retours. Les Buveurs d’Encre adhèrent à ce panel depuis pas loin d’un an. Chaque matin, je dispose donc d’un panorama extrêmement détaillé de ce qui se vend dans les librairies, à Paris et dans toutes les régions. Si cela m’amuse, je peux même savoir à l’unité près ce que vend Monsieur Tartempion, de la librairie Machin à Mézidon-Les-Deux-Pognes. Je ne fais pas mes choix en fonction de cela, mais cela donne un éclairage intéressant et permet de ne pas passer à côté de livres qui m’ont échappés. Sans chercher absolument à casser mon image, ce sont des choses qui arrivent parfois…
Quand on commence à maîtriser l’engin, on découvre des choses assez rigolotes. Qu’un libraire que vous ne connaissez ni d’Eve ni d’Adam a des choix, des goûts semblables aux vôtres. Et devinez quoi, quand il fait des piles sur un bouquin qui vous a échappé, vous avez plutôt tendance à y jeter un coup d’œil. Je me suis rendu ainsi compte ainsi, que j’ai des goûts assez semblables aux libraires de chez Coiffard, une grosse librairie de Nantes. Je ne sais pas pourquoi, c’est comme cela. Tout cela pour dire que le classement Datalib, bien qu’il soit très partiel (cela doit représenter quelque chose comme 5% des ventes en France) est précieux pour nous… et bien différent du classement des meilleures ventes nationales de Livre-Hebdo. Tiens, prenons un exemple totalement au hasard : plouf, plouf, plouf. Ah tiens c’est drôle, ça tombe sur « la Princesse et le président », oeuvrette récente d’un certain Valéry Giscard d’Estaing. Le roman rentre en 15ème place au hit-parade de Livre-Hebdo, catégorie romans**. Sur Datalib, il ne figure pas dans les 150 meilleures ventes de romans, niveau auquel le classement s’interrompt. Si je calcule la droite de régression que je multiplie par l’âge du capitaine, ça place VGE aux alentours de la 230ème place. Cela malgré les efforts méritoires de quelques confrères de la Rive Gauche, à un jet de pierre de Tiberiland. Alors : simple retard à l’allumage, manque d’intérêt de nos clients ou scandaleux boycott de libraires ? Allons regarder de plus près les stocks qu’ont constitués les confrères (c’est super indiscret cette cochonnerie de Datalib). Figurez-vous qu’il sont quelques uns à y croire, à l’ex, du côté de Tiberiland surtout. Ils sont aussi deux ou trois en province, d’ex jeunes giscardiens sans doute, a avoir fait des piles de trente. Et si vous passez par Nantes, sachez que la librairie Coiffard dispose d’un exemplaire à la vente, tout comme – plus prêt de chez vous – les Buveurs d’Encre.
* vous pouvez accéder librement au classement général Datalib, repris chaque semaine sur Libé. Le détail, c’est pour les libraires seulement.
** 8ème au classement de Livres Hebdo du 9 octobre ! VGE, la bêbête qui monte…