Classique et livre culte et best-seller et long seller … excusez du peu !
Figurez-vous que comme vous et moi, les livres ont une vie. Comme vous, comme moi, ils font leur petit tour et puis s’en vont … Un numéro plus vite plié que le nôtre, dans la plupart des cas. Car pour une Chartreuse de Parme, une Princesse de Clèves, un roman de Guillaume Musso (*) que vos arrière-petits-enfants étudieront un jour en classe, combien de documents coup de poing, combien de poignants premiers romans connaîtront, l’encre à peine sèche, les affres du pilon ?
Sans vouloir casser l’ambiance, rappelons que publier chez Pierre, Paul ou même chez Gaston et Antoine n’est pas, n’est plus (et n’a jamais été) gage d’éternité. Heureusement d’ailleurs, car imaginez un instant le bazar… La production éditoriale française représente bon an mal an 60 000 titres. Vous enlevez deux tiers de bouquins techniques ultra spécialisés, genre les troubles du désir chez le gaucher ouzbek, il reste encore de quoi remplir 2 fois la librairie les Buveurs d’encre. Et on parle juste de ce que concoctent en une année même pas bissextile les éditeurs à l’attention du grand public… ou de ce qu’ils fantasment comme tel !
Or, comme les moins distraits d’entre vous l’auront noté, la plupart des librairies proposent à la vente un nombre parfois considérable de titres plus anciens. Si elles hébergent aussi dans leurs rayons ces chères veilles choses, c’est qu’il doit y avoir un truc, subodorez-vous. Vous subodorez bien… Outre le fait que le libraire méfiant, avaricieux et soucieux de sa trésorerie ne se précipite pas sur chaque nouveau livre comme la vérole sur le bas clergé breton – et ce en dépit des efforts méritoires du représentant – joue aussi le fait que les livres n’ont pas la même espérance de vie que nous.
Question cycle de vie, ils sont beaucoup plus complexes que l’homo sapiens moyen, créature assez prévisible, qui en prend grosso modo pour sept à neuf décennies selon l’état de ses artères et son hygiène de vie. Pour les bouquins, c’est un peu plus compliqué, mais pour vous être agréable, je vais me faire un plaisir de vous classer cela par catégories. Ce classement est très personne et peut varier en fonction des librairies, mais globalement, ça a du sens…
Catégorie « feu de paille »
Définition : le livre écrit pour « faire un coup ». L’éditeur ne vise pas le panthéon littéraire, mais plus prosaïquement un retour sur investissement rapide et si possible juteux.
Livres concernés : les mémoires d’un « people » surtout si elles sont un peu crapoteuses ou le document d’actualité grand public sur un sujet par ailleurs fortement médiatisé. Le deal du Mediator dans les banlieues islamiques peut potentiellement faire un tabac.
Ingrédients pour que cela marche : un nom connu sur la couverture, et de la télé grand public à forte dose. Plan média idéal : Le fou du roi + 20 minutes + Ruquier.
Archétype : vous aurez oublié l’existence de ce livre quand vous lirez ces lignes, alors, à quoi bon ?
Espérance de vie : 30 jours maximum, mais de toute manière on s’en fout vu que l’essentiel des ventes se fait dans la semaine qui suit la tournée promo. Ces livres n’entrent pas dans le fonds, même pas dans celui des magasins Virgin, c’est dire…
Catégorie « best seller »
Définition : tout bouquin qui dépassera 30 000 acheteurs, soit une moitié du stade vélodrome pour un OM-PSG, un soir d’affluence moyenne. Ce qui devrait aider les gens du monde du livre à rester modeste…
Livres concernés : le dernier roman d’un écrivain très médiatisé, la biographie d’une célébrité, signée par une autre célébrité.
Ingrédients pour que cela marche : grosse mise en place en librairie, quasi assurée de toute manière. Le seul risque, c’est une presse unanimement défavorable ou -pire- mollassonne. Et puis, le risque du gros truc qui efface le reste, mais heureusement, il n’y a pas un 11 septembre tous les ans, même si c’est une façon de parler.
Archétype : La carte et le territoire, de Houellebecq. Pour les essais, La bio de Giroud par Laure Adler
Espérance de vie : 4 à 6 mois sur table pour les romans (chez nous, en tout cas). Un peu moins pour les essais. Le roman peut connaître une deuxième vie en poche.
Catégorie « long seller » :
Définition : aujourd’hui, tout bouquin qui n’est pas passé au pilon dans l’année qui suit sa sortie
Livres concernés : le roman grand public, qui sort sans tambour ni trompette et finit par toucher à la fois le lecteur occasionnel (la lectrice occasionnelle, plus précisément) et le « gros(se) lecteur(trice) ».
Ingrédients principaux : le bouche à oreille entre lecteurs ainsi le soutien des libraires qui lui assurent pendant les premiers mois l’espace minimal requis sur leurs tables
Archétype : L’élégance du hérisson, de Muriel Barbery. Et pour 2011, La couleur des sentiments de Stockett, ou Rosa Candida d’Olafsdottir
Espérance de vie : sur les tables, jusqu’à la fin de la saison littéraire. Ensuite soit le livre rejoint les étagères et passe en fonds, soit le reliquat part au retour.
NB : le long seller peut devenir un best seller mais l’inverse n’est en général pas vrai.
Catégorie «livres de fonds »
Définition : dans une librairie, le livre de fonds est le livre qui est là en permanence, et qu’on recommande chaque fois qu’on le vend, sans se poser de questions. Un titre peut donc être « livre de fonds » dans une librairie, et pas dans une autre. A l’exception des classiques, modernes ou anciens, et c’est d’ailleurs à cela qu’on reconnaît un classique.
Livres concernés : les classiques bien sûr, ainsi que tous les bouquins que le libraire, pour des raisons qui le regardent, juge utile d’avoir en permanence sous la main. Bref, le livre de fonds c’est soit un livre que librairie a lu, soit un livre qu’il aurait dû lire !
Ingrédients principaux : Le temps, essentiellement. Bien malin qui peut prédire ce que seront les classiques de demain. De grosses ventes aujourd’hui ne sont pas une garantie pour demain, le contraire non plus, hélas !
Archétype : certains auteurs accèdent de leur vivant au statut envié d’auteur de « livres de fonds ». Juste pour parler des français, vous trouverez peu de librairies qui ne vous proposent pas les livres de Modiano, Le Clezio, Tournier ou Echenoz.
Espérance de vie : sans date limite de péremption, c’est l’avantage principal d’accéder à cette catégorie.
Catégorie « livre culte »
Définition : Le livre culte, c’est un livre de fonds que presque personne n’a lu sans oser l’avouer. Si personne n’en a entendu parler en dehors de quelques personnes reconnues comme expertes, on dit alors cultissime. L’appartenance à un sous-genre est un plus.
Livres concernés : Dans le fonds des Buveurs d’encre qui n’en manque pas, peuvent prétendre à la distinction « culte » voire « cultissime » les titres suivants :
Le lézard lubrique de Melancholy Cove, de Christopher Moore. Du polar/SF enrichi en déconnade et testostérone
Mille milliard de tapis de cheveux, de Andreas Eschbach (de la S-F allemande, un genre presque aussi rare que le porno taliban…)
Les fantômes de Calcutta, de Sebastien Ortiz. Un livre magnifique sur une des plus belles villes du monde.
Yegg, de Jack Black. Les mémoires d’un perceur de coffres, avec en post face une charge anti sarkozyste écrite dans les années 1920 (ou trente, peut-être, j’ai la flemme d’aller voir).
L’avantage des livres cultes, c’est que chacun peut avoir sa propre liste et l’enrichir au gré de ses lectures et préférences personnelles. Il n’y a pas véritablement de justification à apporter, alors de grâce, acceptez que d’autres ne partagent pas votre avis ou vos goûts. Je me souviens d’une cliente qui me snoba sous prétexte que je n’avais pas lu Forrest Gump. Comme vous sans doute, j’ai vu le film – l’un des plus surrestimé de ces 20 dernières années, si vous voulez mon avis- Le fait que cette dame me snobe parce que j’ignorai l’existence du roman m’a semblé un peu mesquin. Il y a suffisamment de classiques que je n’ai pas lus pour ne pas aller me chercher sur des choses qu’on qualifiera de très secondaires.
Catégorie « boule de neige » :
Définition : l’équivalent écrit de la télé-réalité. Le livre qui est connu parce qu’on en parle. Plus qu’un bouquin, c’est un phénomène de société.
Archétype : Indignez-vous, de Stéphane Hessel. Ou les bouquins de régimes hypo/hyper-vitaminés dans un autre genre.
Ingrédient : la curiosité du public, relayée par les media, à moins que ce ne soit l’inverse.
Espérance de vie : le temps que ça dure…
(*) Ce pourrait être une plaisanterie, mais malheureusement non. Si vous insistez, je vous donnerai plus de précisions, histoire de convaincre un monde incrédule que le cauchemar a déjà commencé.