Tout n’est qu’ordre et beauté ?
« Est-ce que vous avez Une vie de Maupassant ? » J’ai bien fait des efforts pour jouer à cache-cache avec certains livres, celui-là non, vraiment, il a son petit casier, comme un bon élève, au premier rang. Je ne suis pas une grosse feignasse qui rechigne à se pencher pour attraper l’objet du délit, mais avouons-le, je me pose la question du rangement dans une librairie. Ou de son absence d’ailleurs. Ne serait-ce pas un vaste capharnaüm où ce lutin malicieux de libraire innoverait en matière de classement alambiqué où seul lui s’y retrouverait ?
Alors non franchement, vraiment pas, on n’est pas pervers à ce point là. Nous on aime l’ordre et la discipline. Tout ce qu’on veut, c’est une signalétique évidente, des rayons bien ordonnés et une rassurante organisation à la papa, où chacun trouve son bonheur dans la clarté. Pas une zizanie de sagouin. Là les livres pour les enfants (dit rayon Jeunesse, ce qui a un doux air rétro, c’est bien vrai), là les bd, là les nouveautés sur la table, ici le cinéma, là-bas la musique, la littérature, et puis les beaux-arts, les beaux livres et les sciences humaines, au fond le polar.
Avec le recul, et l’expérience, je me dis toujours que « beaux livres » ou « sciences humaines » sont des termes inventés par les libraires. J’attends avec impatience le client qui me demandera des « moches livres » ou de la « science inhumaine ». Les usages, mon ami, les usages ; les rayons, comme les secteurs éditoriaux, ont de vagues prétentions institutionnelles. Le rayon « Pratique » par exemple est censé regrouper la cuisine, le jardinage et tout ce qui est bien évidemment « pratique ». Sûr que manier la binette, faire de l’escalope milanaise et apprendre les rudiments de Photoshop c’est du pareil du même. Admettons que certaines catégories se définissent par opposition à d’autres, et qu’on fait ce qu’on peut avec l’espace et la logique qu’on a.
Voilà pour l’organisation spatiale de la librairie et la distribution des secteurs ; on peut aussi rentrer dans le détail de chaque rayon. C’est là qu’intervient notre bon vieil ordre alphabétique, d’auteurs, très utile pour la littérature, le polar ou la philo. Après on peut mettre quelques finesses avec des sous-rayons selon la langue d’écriture. Juste pour vous donner quelques trucs, parce qu’il y quand même quelques pièges : les hispanophones ont deux noms de famille, et c’est le premier qui l’emporte. Anne Frank n’écrit pas en allemand et Pascal Mercier n’écrit pas en français.
Pour les autres rayons, genre histoire, cinéma ou cuisine, c’est parfois plus compliqué. Les ouvrages de référence sont en début de rayon, et ensuite, en histoire on a plus tendance à ranger par ordre chronologique (en se posant de sérieuses questions quand les sujets traités s’étalent sur plusieurs siècles), en art on range selon l’artiste (et quand il y en a deux ?), et en cuisine, le salé d’abord, le sucré ensuite et les boissons à part, comme sur la carte d’un restaurant… La librairie n’est pas gigantesque et ces rayons ne concernent pas des milliers de références, on s’y retrouve donc. Mais pour la jeunesse et la bande dessinée, c’est une autre paire de manche. Le nombre important de titres, la variété des sujets et de formats font qu’on fait comme on peut, avec des bacs, des rayonnages, des boîtes, des intercalaires, des classements thématiques, alphabétiques, et qu’on cherche, peut-être vainement, à mettre de l’ordre dans ce tohu-bohu. A défaut de vous rendre limpide l’offre éditoriale, on essaie déjà de s’y retrouver nous-mêmes, ce qui est déjà une gageure, vu qu’on passe tout de même une bonne partie de la journée à ranger puis à pister des livres.
On pourrait réfléchir à d’autres types de rangements, et utiliser la classification Dewey des bibliothécaires ; vous savez, les cotes sur la tranche du livre avec les petites lettres et les petits chiffres. Comme le commun des mortels n’a aucune idée de ce que signifie ces cotes, on va mettre ça de côté. Ou alors on pourrait les ranger par collection, comme ça ils auraient tous la même taille, et puis par numéro de collection. Ca fait un peu militaire quand même.
En attendant vos suggestions de présentation on sera ravi de vous trouver ce bouquin écrit par un mec qui en général fait de la bande dessinée et de l’illustration jeunesse mais là se lance dans une analyse des films noirs de Fritz Lang, sous couvert de faire un état des lieux de l’émigration allemande aux Etats-Unis pendant les années 30 et 40, avec en arrière-plan l’émergence du jazz.